THÉORIE ATTAQUÉE DU TEMPS DE PASTEUR
LES CONTRADICTEURS DU SIECLE DE PASTEUR
Antoine BÉCHAMP
C’est bien à propos que nous utilisons pour cette troisième partie le
ton de la polémique. Toute action commence par l’intuition, et celle-ci anime
le cœur. La tête suit le cœur, et les bras la tête. C’est le bon ordre. Le
mental doit confirmer l’intuition, et toutes les deux marcher de concert, car
avec la tête seule, on peut prouver n’importe quoi.
Mais revenons à la médecine.
Supposons qu’une épidémie, une vraie celle-là, style peste ou grande
vérole , décime 20 % de la population d’une capitale. Quelque deux millions
de morts dans Paris, par exemple. Imaginez ! Voilà qu’on trouve l’infestant,
le microbe (il existe), et l’on déduit que si celui-ci n’existait pas, la
maladie n’existerait pas non plus. Et c’est exact, ils sont liés l’un à
l’autre. Étudier le microbe est étudier la maladie. C’est le travail de la
médecine moderne : étudier la maladie pour l’éradiquer. Médecine de la
maladie.
Mais c’est ne voir qu’un (petit) côté des choses.
C'est ne pas voir l’autre (grand) côté : les 80 % de la population qui
résistent à cette maladie. Pourquoi ceux-là s’en tirent-ils et pas les autres
? Et l’ayant découvert, prêcher à tous vents pour propager ces conclusions
positives. Médecine de la santé.
Travailler pour la santé n’est pas lutter contre la maladie : c’est
travailler pour la santé. C’est, en le sauvant des erreurs de notre société
lumineuse, augmenter l’énergie naturelle de l’individu , pour faire que la
maladie ne se déclare pas. Évidemment, c’est casser la banque des affairistes
et mettre sous les ponts les vendeurs de pilules, avec les marchands de
châtaignes grillées. Inacceptable !
On comprend pourquoi le corps médical ne s’insurge pas, aux côtés de
José Bové, les amis de la terre, les paysans biologistes, etc. pour que l’air
ne soit plus pétrolifère, pour que les fleuves ne soient plus des marigots,
pour que notre sang ne soit plus fait à partir de nourritures fabriquées par
des usines à manger et à boire d’Amérique et d’ailleurs.
Ce serait tout de même un beau rôle pour la médecine, celui de
rétablir la santé, et donc de se faire Hara-Kiri. La médecine efficace doit
voir diminuer le nombre de médecins et le coût de la « santé ».
L’augmentation de leur nombre et du coût effarant de l’activité médicale est
le signe de l’échec de cette médecine-là.
Elle fait partie d’un circuit de distribution de biens et services
hautement rémunérés. Elle laisse faire son vrai travail à des mouvements (à
l’origine toujours non médecins), tels que « La Vie Claire » en son temps,
chiropractie, acupuncture, anthroposophie, « New Age », macrobiotique, etc.
où existe un idéalisme généreux, avec des résultats plus ou moins heureux,
mais qui sont un espoir devant la lâcheté du corps médical. Lequel récupère,
après les avoir critiqués, les résultats techniques des pionniers
avant-gardistes. Méthode Pasteur ! Ou bien, on les traitera de « sectes »,
c’est moderne et définitif. Le mot remplace celui d’« hérétique » que les
pontifes moyenâgeux employaient pour défendre leur juteuse orthodoxie.
Avant que la médecine n’ait complètement baissé les bras et que les
médecins soient complètement assimilés par dix années de bachotage , certains
savants courageux se sont appliqués à démasquer la fausseté de la dogmatique
pastorienne. Les scoops décisifs furent portés par ceux qui s’appliquèrent à
montrer que les microbes ne se trouvent pas dans l’air sous la forme
virulente que l’on trouve dans le vivant, mais se génèrent dans les cellules
et dans les humeurs par dégradation et recomposition. Ils donnent raison à ce
vieux médecin toulousain qui, citant de la Palisse, me disait « Monsieur, si
l’on est en bonne santé, eh bien, on n’est pas malade ! »
Antoine Béchamp
Antoine Béchamp (1818 -1908), fut, du vivant de Pasteur, son plus
opiniâtre et son plus sérieux contradicteur. Avant même que le célèbre chimiste
eût commencé ses travaux, il a, dès 1854, entrepris des travaux, refaisant et
réinterprétant les observations de Maumené qui avait noté l’« inversion
» spontanée d’une solution de sucre (saccharose) abandonnée à
elle-même. Ayant contrôlé la justesse de cette conclusion, il observe en
outre que des « petits corps » se développent en même temps que s’effectue la
transformation. Il ne tarde pas à établir que ces petits corps, que plus tard
on appellera microbes et auxquels il donne le nom de microzymas , se trouvent
dans l’air et sont la cause de la transformation du sucre.
Ces microzymes, il les retrouve dans le sang, dans le lait, dans
l’urine, le foie et les autres organes. Il les retrouve même dans les roches
sédimentaires, restes fossiles des organismes vivants décomposés . Toutes ces
observations sont justes. Elles seront la base exacte de sa lutte contre les
idées de Pasteur qui ne parle que de « germes » dans l’air, ne considère les
microbes que comme agents des maladies et enseigne que les organismes vivants
sont aseptiques, les comparant volontiers à un tonneau de vin ou de bière.
* * *
Une dizaine de savants se sont intéressés à l’origine intraorganique
des microbes à la fin du XIXème siècle et une cinquantaine de communications
concernant le microzyme ont paru au XXème siècle, chacun donnant aux « coques
» élémentaires observés un nom faisant image dans sa propre conception. Ainsi
Jules Tissot qui, dans les années 1940, est l’un des plus éminents
successeurs de Béchamp, lui donne le nom de « forme micrococcique ». Béchamp,
avant tous, découvrit l’action des microbes de l’air, ses microzymes,
corps élémentaires qui plus tard seront appelés coccus ou microcoques, et qui
forment la population essentielle des microbes que l’on trouve dans l’air.
A partir de ces travaux, il mène une série d’expérimentations qui lui
permettent de développer une théorie extrêmement claire des
fermentations qui laisse loin derrière et pour longtemps tous ses
concurrents ou adversaires : Pasteur, bien entendu, dont il devient
rapidement la bête noire, mais aussi de très grands noms de la science, tels
que le chimiste Marcelin Berthelot ou le physiologiste Claude Bernard.
Béchamp sait de quoi il parle quand la lutte se déclare ; il sait
aussi à qui il parle.
Alsacien d’origine, il fait ses études en Roumanie , et il est diplômé
pharmacien par l’Université de Bucarest. Revenu à Strasbourg, il doit
repasser son cursus universitaire, baccalauréat et diplôme de pharmacien
français. Il présente et est reçu au concours d’agrégation pour devenir
professeur à l’École de Pharmacie de Strasbourg, section de chimie, physique
et toxicologie. Un de ses examinateurs est Louis Pasteur, professeur
suppléant de chimie, auquel il va bientôt, très cordialement, dédier une thèse
de doctorat de chimie : « recherches sur le pyroxyline ». L’heure des
hostilités n’a pas sonné, aucun d’entre eux n’ayant porté ombrage ou donné
matière à concurrence à l’autre. « Béchamp professe pour Pasteur le respect
dû à un savant original et incontesté en chimie. » Béchamp est même
amené à remplacer Pasteur bénévolement, nous l’avons vu, pendant que celui-ci
monte à Paris pour resserrer ses relations.
Béchamp passe une thèse de Physique, puis de doctorat en médecine. Il
est un des savants les plus titrés de son époque. Son métier de professeur,
il va l’exercer une grande partie de sa vie à la célèbre université de
Montpellier, comme professeur de Chimie et de Pharmacie, d’où il enverra des
communications sur ses recherches aux Académies des Sciences et de Médecine
de Paris dont il est membre correspondant. Malheureusement, il n’a point
l’entregent ni le faire-valoir que possède au plus haut point son
irréductible adversaire. Surtout, habiter la province et ne pas être sur les
bancs mêmes à côté de ses pairs lors des réunions académiques de la Ville qui
se prend pour ~ et est à l’époque ~ intellectuellement la première du monde,
c’est une faiblesse inexcusable.
Quels seront les objets de différend entre les deux hommes :
1° - Béchamp trouve les microzymes dans l’air avant Pasteur. Il a un métro
d’avance, et c’est déterminant. Quand Pasteur dira, lors de ses études sur la
fermentation lactique, que les ferments se forment spontanément dans les
solutions, Béchamp lui sait qu’ils viennent de l’air puis de la craie
naturelle que Pasteur met dans ses solutions, et le fait changer d’avis.
Béchamp comprend vite le phénomène de la fermentation qu’il assimile à
une digestion : les microzymes, agents de la fermentation, sécrètent des
zymases (on dit maintenant enzymes), substances chimiques solubles qui
décomposent les matières en éléments simples assimilables par ces mêmes
microzymes, et assurent ainsi leur nourriture et leur reproduction. La
complète digestion des matières conduit généralement à la production
d’alcools, d’acides et de gaz carbonique, produits de désassimilation.
Cette compréhension du phénomène de fermentation fait de Béchamp le
père de l’enzymologie. Elle lui donne le pas sur son ambitieux concurrent :
Pasteur n’aura jamais cette ouverture et ne le pardonnera jamais à Béchamp.
2° - Quand Pasteur comprend enfin que les microbes existent dans l’air, il
enseigne que tous les microbes viennent de l’air et sont causes de maladies,
premier dogme de la religion pastorienne, celle de la panspermie
atmosphérique.
Pendant ce temps, Béchamp trouve ses microzymes dans le sang, l’urine,
le lait, le foie, et en général dans tous les organes. Il en trouve,
fossilisés, dans la craie naturelle, et comprend leur rôle dans la
putréfaction des cadavres post mortem.
3° - Pasteur pense au contraire que tout être vivant, protégé des
micro-organismes par sa peau, est aseptique en son intérieur. Second dogme
pastorien : celui de l’asepsie des êtres vivants.
4° - Béchamp montre que les microzymes, sphérules isolées (microcoques),
peuvent s’associer par deux (diplocoques), en ligne (streptocoques) ou en
grappes (staphylocoques), et peuvent évoluer en donnant des bâtonnets
(bactéries). C’est le polymorphisme microbien, faculté des microbes de
changer de forme suivant la nature de leur environnement et leur évolution.
Au contraire, Pasteur pense que pour chaque maladie, le microbe agent
est de souche fixe, non évolutif, c’est le troisième dogme pastorien, celui
du monomorphisme microbien.
Remarquons que ses microzymes, que Béchamp retrouve dans tous les
tissus vivants , ne se séparent de l’organisme et ne deviennent morbides que
lorsque les conditions d’existence à l’intérieur des liquides du corps
deviennent précaires, c’est-à-dire anormaux. La composition de ces liquides,
qui dépend grandement de notre alimentation et de notre mode de vie, nous
ramène donc à notre responsabilité individuelle devant la maladie.
5° - Évidemment, Pasteur en arrive à envisager la contamination extérieure
comme la seule source de la maladie infectieuse. Il voit que Nasrudin est
monté à l’envers sur son âne, et n’a jamais voulu envisager que l’âne pouvait
être, lui, à l’envers, c’est-à-dire que le microbe pouvait trouver son
origine dans la décomposition des organismes animaux et végétaux. Il pensait
que c’était « contraire à la théorie » ; or, scientifiquement parlant, il ne
s’agissait que d’hypothèse jamais démontrée, puisque ses contradicteurs ont
démontré le contraire. Pour Pasteur donc, aucun doute : la maladie microbienne
est donnée par le microbe, qui est son agent, animal pervers . C'est le dogme
pastorien de la contagion que Béchamp récuse également pour les raisons que
nous avons exposées.
* * *
La mésentente est radicale. La guerre est sonnée ; elle sera éternelle
et violente. L’étude de cette période est pesante, le lecteur le comprendra.
Il faut analyser point par point ce qu’il s’est dit et ce qui s’est fait au
moment où le tournant fut pris de la création de la médecine moderne. De
cette période, beaucoup de louanges et de mensonges ont été publiés, qui
laissent dans l’ombre l’importance de la matière. Le chercheur curieux,
passionné de vérité, ardent, patient, possédant l’esprit scientifique et de
discrimination, devra passer des mois et des années à fréquenter les
bibliothèques, à décortiquer les pesants « comptes-rendus » des Académies des
Sciences et de Médecine, lisant entre les lignes les sentiments ou les buts
non déclarés. Il devra aussi relire les correspondances de Pasteur et les
ouvrages de ses détracteurs. C’est long.
Afin de faire sentir l’atmosphère empoisonnée qui existait pendant
cette période que l’on prend souvent pour lumineuse, lisons de larges
extraits de la longue lettre écrite par le vieux Béchamp, âgé de 84 ans,
alors que Pasteur est mort depuis plus de quatre ans et que commence le
vingtième siècle. Il y répond à un certain docteur Vitteaut qui, dans un
article de presse, avait cru lui rendre hommage en le présentant comme le
précurseur de Pasteur.
Paris, Mai 1900
Monsieur le docteur,
J’ai reçu votre « question scientifico-religieuse »... Si je ne vous
tenais en très haute estime à cause de vos bonnes intentions, je ne vous
écrirais pas. Je vais le faire en toute sincérité... pour me plaindre, pour
me justifier et pour vous désabuser.
Permettez-moi de vous dire d’abord... que M. Denys Cochin ...
vous a induit en erreur au sujet de M. Pasteur, et cela, soit par ignorance ou
mauvaise foi...
C’est évidemment pour grandir votre héros et pour me faire un
compliment que vous m’avez fait le précurseur de Pasteur : je ne sais où vous
avez pris cette opinion que vous aviez déjà émise ailleurs et que je n’avais
pas relevée ; mais puisque vous la reproduisez dans des conditions que je
tiens pour offensantes, souffrez que je vous dise ceci : je suis le
précurseur de Pasteur comme le volé est le précurseur de la fortune du voleur
enrichi, heureux et insolent qui le nargue et le calomnie.
Voici pour vous désabuser : je pose en fait que Pasteur, quoi que vous
disiez, d’après M. Denys Cochin, n’a découvert aucun des faits dont vous le
glorifiez et qu’il n’a introduit dans la Science aucune vérité nouvelle. Vous
auriez pu vous en convaincre en lisant la préface du livre sur les Microzymas
(1883).
Un seul exemple suffit pour démolir tout l’échafaudage construit pour
élever un monument à la gloire de celui que vous dites « notre Pasteur ».
C’est celui qui prouve qu’il n’a découvert ni les germes dont vous parlez, ni
résolu l’antique question des générations spontanées. Si cela est avéré, il
ne reste rien de votre assertion que Pasteur a prouvé que la vie n’apparaît
sans un germe, que dans le monde vivant par conséquent tout être vivant
procède d’une cellule, « omnis cellula a cellula ». Eh bien non ! Monsieur le
Docteur, cela n’est point vrai, et M. Denys Cochin, sur l’autorité de qui
vous vous appuyez, s’il a dit cela, n’a pas été un historien véridique.
Pour s’en convaincre, il suffit du Mémoire sur la fermentation
lactique qu’il publia en 1858. Là, vous verrez que Pasteur a affirmé
itérativement que la levure lactique, les vibrions et la levure de bière,
laquelle est une véritable cellule, PRENNENT SPONTANÉMENT NAISSANCE de la matière
albuminoïde du milieu fermentescible. Est-ce clair ?
Ainsi donc en 1858, Pasteur, pouvant choisir entre deux hypothèses
ayant chacune des adhérents : celle des germes et celle de la
spontéparité , se prononça pour la génération spontanée, sans même discuter
de l’hypothèse des germes. Il serait trop long de vous faire voir combien il
a été superficiel dans son expérimentation.
Sans doute, dans la suite, le roublard changea son fusil d’épaule !
Mais qui donc l’y a contraint en le faisant revenir de son erreur et de sa
légèreté ? Je vous le dis sans détour : c’est moi. En 1857, à la suite
d’expériences commencées en 1854, j’avais vérifié l’hypothèse des germes et
conclu contre la génération spontanée. Je ne m’en tins pas là, et d’une suite
ininterrompue de travaux... la théorie microzymienne de l’organisation
vivante était complète en 1870, même au point de vue de la pathologie et de
la thérapeutique. Quelques années après, j’avais réduit à ses véritables
proportions la vieille hypothèse des germes, en démontrant que les prétendus
germes ne sont que les microzymas des organismes disparus. J’ajoute seulement
que la pathologie, selon la théorie microzymienne, n’est que la justification
de l’aphorisme hippocratique que Pidoux énonçait comme ceci : « Les maladies
naissent de nous, en nous » et que par conséquent il ne peut pas exister de
germes primitivement pathogènes dans l’air. J’ajoute que ce sont mes
expériences qui ont fondé la théorie de l’antisepticité et conduit à l’emploi
des antiseptiques médicinaux.
Et qu’a fait M. Pasteur ?
Il tint ma vérification de l’hypothèse si parfaite et si
concluante, qu’il admit la panspermie dans le sens de mon mémoire de
1857, c’est-à-dire dans le sens ancien, et s’en attribua la vérification,
faisant accroire au public, même des Académies, que par là il avait combattu
victorieusement la génération spontanée. J’ajoute, pour réfuter votre
assertion, que Pasteur avait prouvé que tout être vivant procède d’une
cellule, que le célèbre microbiste, en 1866-1867, amené à se prononcer sur la
question de savoir si la cellule était vivante, se prononça pour la négative,
si bien qu’en 1876 il assura que l’intérieur du corps humain était
comparable, à l’égard des germes de l’air, au contenu d’un vase plein de vin
ou de bière.
Mais où l’inconscience de Pasteur s’est révélée avec le plus d’éclat,
c’est lorsqu'en 1872 il tenta de se faire attribuer la découverte des faits
de la théorie microzymienne, même au point de vue pathologique. Alors
il imagina ce que le Dr Roux a appelé l’œuvre médicale de Pasteur, à savoir
le microbisme, selon lequel, outre la panspermie classique, il y aurait une
panspermie pathogène. Le microbisme est une doctrine fataliste
monstrueuse puisqu’il suppose qu’à l’origine des choses Dieu aurait créé les
germes des microbes destinés à nous rendre malades. C’est ainsi que le
microcosme c’est la contrefaçon à rebours de la théorie microzymienne. Ceci
pour légitimer l’expression de faiseur appliqué à votre héros. Je m’arrête.
Etc.
* * *
On comprend bien le sens de cette lettre : Béchamp n’accuse pas
simplement son adversaire de plagiat : il lui reproche tout bonnement de
n’avoir rien compris aux grandes découvertes de son siècle et de les avoir
dévoyées. C’est une chose de nier ou de passer sous silence les découvertes
de ses collègues, de les ridiculiser, d’affirmer que ses travaux personnels
sont antérieurs (« Je suis le premier à avoir dit... J’ai montré le
premier... J’ai ouvert une voie nouvelle... etc. »), et quand il ne le peut
pas, prendre à son compte les travaux qu’il a méconnus ou critiqués ; autre
chose est de ne rien comprendre au sens profond de ces expériences et de
l’orientation à donner à la médecine. C’est l’accusation de Béchamp : il ne
traite pas Pasteur de criminel, mais...
Il ne s’agit donc pas essentiellement d’une revendication de priorité,
même si elle est clairement exprimée : car ces « microbes », qu’il continuera
à appeler toute sa vie « microzymas », c’est bien lui qui les a inventés («
découverts ») et qui a su montrer leur origine, leur action, leur rôle dans
la vie et dans la maladie face à un Pasteur qui, lui, n’a rien compris et a
été contraint de bâtir son œuvre sur des récupérations mal digérées. Dès le
départ, il ne comprend pas que les ferments « figurés », qu’il appelle «
globules », puissent venir d’autre part que, tout faits, de l’air ; il ne
comprend pas davantage le processus de l’acte de fermentation par digestion
des matières fermentescibles, passant par l’action d’un ferment liquide («
soluble »), une zymase , dont il a toujours nié l’existence, dont il n’a
jamais voulu entendre le nom. Cette question du ferment liquide va l’opposer
au grand chimiste Marcelin Berthelot et au non moins grand physiologiste
Claude Bernard. Ce blocage de l’école pastorienne sur l’existence et l’action
de la zymase dans les fermentations fera que l’activité enzymatique mise en
évidence par Béchamp dès 1864 , ne sera pas reconnue avant 1897. C’est en
1907 que l’Allemand Büchner recevra le prix Nobel pour cette invention !
Le biographe et chantre de Pasteur, Patrice Debré , a fait effort pour
ne pas voir Béchamp ; et l’Encyclopedia Universalis ne le connaît pas
davantage. C’est très grave.
Le plus grave est le dévoiement de la médecine. Expliquons-nous.
Béchamp a fort bien compris que la gangrène, maladie microbienne, venait de
la décomposition de nos organes par asphyxie. Il suffit de mettre un garrot
autour d’un bras ou d’une jambe pendant plusieurs jours pour provoquer cette
maladie, sans attendre l’action de quelque microbe de cette maladie dans
l’atmosphère, où d’ailleurs on ne le décèle pas. Pasteur, convaincu de
l’asepsie du corps, comparant le corps à un vase de vin ou de bière, attend
un microbe atmosphérique pour voir démarrer la fermentation. Comme démarre la
putréfaction dans une marmite de soupe ! On comprend que la thérapeutique
même, à partir de l’une ou l’autre des deux théories, soit tout à fait
différente. L’étude des fermentations permet de comprendre que la clarté
revient à Béchamp, dont le grand mérite était de mettre la microbiologie,
puis la thérapeutique sur une voie ouverte, prenant conscience de deux volets
du mécanisme de la maladie microbienne, là où Pasteur n’en voyait qu’un. Le
microbe se forme par évolution morbide des microzymes constitutifs, quand les
conditions de vie de ces éléments ne sont plus ordinaires. Ces éléments
morbides peuvent alors transmettre la maladie à d’autres organismes, là
encore si les conditions sont favorables pour les recevoir.
C’est clair. La responsabilité personnelle et sociale ne sont pas
escamotées. Mais les marchands n’y retrouvent pas leurs billes, et Béchamp
n’a été ni entendu ni suivi.
Afin de ne pas laisser aller ce travail à la polémique, ce qu’on ne
manquerait pas de faire ressortir et peut-être d’en contester la valeur, nous
nous sommes attachés à « décortiquer » l’histoire des fermentations, les
travaux et les disputes académiques qui y sont afférentes, et d’en faire une
espèce de « dossier joint », afin de ne pas rebuter le lecteur, qui ne se
trouve pas forcément enclin de rentrer dans ces détails, même s’ils valent
parfois leur pesant de vinaigre. Nous offrons ce travail pour prouver que
l’on peut, toutes références données, analyser le mythe pastorien. Et
l’exemple choisi est essentiel. Nous laissons à ceux qui s’en trouveraient la
vocation ~ et alors nous leur fournirions aimablement toute l’aide en notre
pouvoir ~ de traiter aussi sérieusement les générations spontanées, les
vaccinations, la pasteurisation , la maladie des vers à soie, etc.
Marcelin Berthelot
Grande figure de la Science française, professeur à l’École Supérieure
de Pharmacie, membre puis secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences,
Ministre de l’Instruction Publique, membre de l’Académie Française, il est
l’auteur de plus de 1200 mémoires. L’un des pères de la chimie organique, on
lui doit la synthèse de l’acétylène, le développement de la thermodynamique
chimique, l’étude des explosifs, etc.
Aussi, il ne va pas s’en laisser conter.
Il n’aime pas Pasteur.
Avec Claude Bernard, il enseigne que la fermentation est due à un
ferment soluble (liquide) qui se détruit au fur et à mesure qu’il entre en
contact avec la matière mise en fermentation. Pasteur ne voit que le ferment
figuré, Berthelot ne voit que le ferment liquide. Chacun des deux savants
porte un des deux drapeaux opposés (et complémentaires). Ils se font de
l’ombre. Pasteur ne supporte pas Berthelot, Berthelot ne supporte pas
Pasteur.
Edmond Fremy
Frémy est lui aussi un de nos grands chimistes. Membre de l’Académie
des Sciences, son nom est lié à la publication de la Grande Encyclopédie
Chimique. Il a étudié les fermentations. Il s’oppose violemment à Pasteur,
contestant ses expériences sur la fermentation des jus de raisin pour la
fabrication du vin. Pasteur ~ toujours l’extérieur ! ~ voit un ferment figuré
(microbe) venant de l’air assurer la vinification, tandis que Frémy, et son
collègue à l’Académie Trécul, défend l’idée d’un ferment soluble (liquide)
existant dans le jus de raisin, à l’intérieur du grain. Ce qui va conduire
Pasteur à construire des serres à Arbois, afin de démontrer sa thèse.
La vérité ne se trouve ni d’un côté ni de l’autre : le ferment est
figuré, mais se forme sous l’action des rayons X du soleil, sur la peau du
raisin mûr. L’expérience de Pasteur est erronée : les serres, qui devaient
protéger les raisins des germes de l’air, ont en fait, par leur vitrage,
privé les grains des rayons X, donnant à Pasteur le résultat qu’il attendait.
Voyez les joutes violentes des deux savants dans l’Annexe sur Les
Fermentations.
Claude Bernard
Où il est encore question de vin.
Claude Bernard, illustre physiologiste, successeur du grand Magendie
au Collège de France, occupe une chaire en Sorbonne créée uniquement pour
lui. Il est l’auteur de l’Introduction à la Médecine expérimentale, véritable
« Discours de la méthode » de la physiologie. L’étendue de ses découvertes,
la qualité et le volume de son enseignement et de sa philosophie de
l’expérimentation scientifique sont impressionnants. Cela mérite d’être
signalé, quoique ce ne soit ici notre sujet. Ce qui nous intéresse, c’est
qu’il partage l’opinion de Berthelot, suivant laquelle les fermentations
dépendent d’un ferment soluble.
Il n’y eut jamais de problème de relation entre Pasteur et Claude
Bernard pendant la vie de celui-ci. Mais quelques mois avant sa mort, Claude
Bernard entreprend des expériences sur les fermentations de jus de raisin, et
il ne manque pas de dire autour de lui que les conceptions de Pasteur sont
erronées, qu’il en tient la preuve et fera des communications prochainement.
Retiré à la campagne dans sa propriété de Saint Julien, affaibli, il laissa
son travail inachevé, à sa grande déception. « C’eût été bien mourir »,
disait-il.
Après sa mort, on apporta à Berthelot des notes prises par Bernard au
cours de ses expériences, lesquelles donnaient des conclusions partielles,
intéressantes en ce sens que Bernard n’écrivait rien dont il ne soit
absolument certain. Or, ces notes concluaient à l’existence du ferment soluble,
essentiel à la fermentation, ce que Pasteur a nié toute sa vie. Également,
Bernard y niait la conception pastorienne selon laquelle la fermentation
serait une « vie sans air ». Ces deux conclusions au moins étaient
extrêmement nettes dans les notes qu’il laissait.
Évidemment Berthelot, pourfendeur de Pasteur, se fit un plaisir
religieux à publier rapidement ces notes dans La Revue Scientifique, un
périodique très sérieux du monde savant de l’époque, sous le titre : Écrit
posthume de Claude Bernard. Pasteur entra dans une rage mémorable, parcourant
son laboratoire de long en large, vitupérant contre Berthelot. Comprenons :
il voyait ses opinions contredites par un des savants les plus honnêtes et
les plus écoutés de son siècle.
Heureusement pour Pasteur, Bernard, fatigué, n’avait pas fourni les
preuves formelles qui eussent donné leur poids définitif à ses affirmations,
et mort maintenant, il ne pouvait plus se défendre. Notre bouillant chimiste
répond donc par écrit, dans un Examen critique d’un écrit posthume de Claude
Bernard sur la fermentation, dans lequel il rappelle ses expériences d’Arbois
(erronées), et souligne que Bernard, l’esprit fatigué près de sa fin, avait
déraillé sur sa dernière ligne droite.
(Voir également l’Annexe sur les fermentations)
Félix-Archimède Pouchet
Pouchet est partisan des générations spontanées ; on dit aussi
hétérogéniste ou spontépariste, c’est-à-dire convaincu que la vie peut
trouver son origine d’une formation partant d’éléments minéraux, ou mieux
organiques, en dehors d’une lignée parentale.
On s’est plu à ridiculiser, comme Pasteur l’a fait en son temps, la
théorie de l’hétérogénie, la faisant passer pour appartenir à des esprits
attardés ou moyenâgeux. On faisait ressortir qu’avant le génial inventeur, on
croyait exacte la possibilité de cette naissance sans parents et que c’était
sa gloire d’avoir démontré l’inexactitude de ces idées passéistes. Les gens
croyaient, disait-on, que si l’on met dans un pot de terre de la farine et
des chiffons mouillés, il sort en quelques jours une génération de souris,
mâles et femelles, parfaitement constitués ! Et autres balivernes. S’il est
certain que des personnes ont cru à ces miracles, dont on nous dit que
Pasteur a débarrassé la Science, c’est encore pour sonner le clairon.
Le problème n’est pas là dans les esprits scientifiques hétérogénistes
du XIXème siècle. Et il reste d’ailleurs aussi posé pour nous de façon tout
aussi poignante. Car, après cette explosion énergétique énorme, qu’on appelle
« Big Bang » et à laquelle nous donnons foi après les astrophysiciens, force
nous est d’admettre que le monde, ou la création si l’on veut, fut d’abord
énergétique, chaleur, puis minérale en fusion, puis végétale après
refroidissement, enfin animale et humaine.
La question est donc de savoir où se trouve le passage d’un règne à
l’autre, et comment il s’est effectué. Rien ne dit que ce passage, qui
demanda des milliards d’années, n’existe point encore. Pasteur ferma les
portes à cette recherche , des hommes comme Pouchet à Rouen ou Joly à
Toulouse en avaient compris la gravité.
La question, au moment où le microscope montrait aux humains les
formes les plus élémentaires de la vie animale et végétale, était : où se
trouve ce fameux passage entre le minéral et la vie végétale monocellulaire,
où se trouve le passage entre les vies élémentaires végétales et animales ?
Restons ouvert : l’évolution est une lente hétérogénie.
Il a donc existé des honnêtes gens, savants estimés et
expérimentateurs scrupuleux, qui ont mené au temps de Pasteur des études sur
les possibles transformations, évolutions qui auraient ouvert ces passages.
Pouchet est de ceux-là.
Bien sûr, ces travaux furent combattus par le vaillant chimiste qui,
en quelques expériences, conclut : « la génération spontanée ne se relèvera
pas du coup mortel que je lui porte. » Très belle phrase. Pour prouver que la
génération spontanée n’existe pas, il faut d’abord établir que l’évolution
n’existe pas, ou bien, ayant fait l’inventaire exhaustif de tous ces passages
possibles entre la vie minérale et la vie cellulaire, un par un prouver leur
impossibilité. Cette démonstration ne saurait donc être établie ; et par
conséquent, affirmer que Pasteur est venu à bout de la fausse notion de
génération spontanée relève de l’intoxication mentale pure et simple.
Voyons de près : il y a des « germes » dans l’air. C’est la pierre de
touche du pastorisme, dogme de la panspermie atmosphérique. D’où viennent-ils
? de leurs parents, et donc des parents de leurs parents, etc. Et à l’origine
? Pas de réponse.
Or curieusement, le professeur Rappin fait remarquer :
« Retenons ce que nous a enseigné l’étude de l’air au point de vue
microbien, à savoir que l’air est toujours plus ou moins chargé de germes, et
en nombre d’autant plus grand que nous l’étudions dans des milieux habités,
ce qui déjà pourrait nous faire soupçonner que s’il est plus riche en
microbes dans les lieux les plus peuplés, c’est que les germes viennent des
organismes qui y vivent... »
et non pas de lignées parentales, comme les vaches des prés !
Disciple de Pasteur ? Remplacez le mot flou de « germe » par microtome
(coque), et vous croiriez un écrit de Béchamp.
* * *
Si la Sorbonne condamne à Paris l’hétérogénie, elle se porte bien en
province, merci. On y compte d’ardents défenseurs parmi les professeurs des
meilleures facultés – Toulouse, Bordeaux, Clermont, Strasbourg. On doit citer
particulièrement Pouchet, bien sûr, naturaliste, professeur au Muséum
d’Histoire Naturelle de Rouen, professeur à la Faculté de Médecine de la même
ville, et à Toulouse Joly et Musset. En Angleterre, Bastian, et en Allemagne,
Büchner en sont aussi d’illustres défenseurs.
Pouchet, qui est toujours passé auprès de ses collègues pour un très
habile et très sérieux expérimentateur, est particulièrement combatif. Il
commence par nettoyer le terrain, en réfutant les vieux travaux théoriques de
Spallanzani, Bonnet, puis les expériences de Schultze et de Schwann ; puis il
conduit une longue série d’expériences originales . Fort de ce travail, il
fait une communication à l’Académie des Sciences.
Voyons comment est accueillie cette communication. Il raconte :
« MM. Milne-Edwards , Dumas, Claude Bernard, et de Quatrefages
s’élevèrent énergiquement contre cette doctrine, dont plusieurs, par
parenthèse, avaient été autrefois les plus chauds partisans.
« L’entente parfaite qui régnait entre de tels athlètes aurait pu
m’ébranler, si je n’avais eu, de mon côté, de si sérieuses études. Mais ces
adversaires quelque illustres qu’ils fussent, étaient mal préparés pour cette
lutte et, après ma réponse, toute la presse scientifique sentait parfaitement
que le sujet se présentait sous un jour nouveau.
« D’un accord unanime, on demandait une révision de la question. L’Académie
proposa un prix.
« Les commissaires étaient MM. Geoffroy-Saint-Hilaire, Serres,
Milne-Edwards, Brongniard et Flourens.
« Quoique parmi ceux-ci les adversaires de l’hétérogénie fussent en
majorité, je ne me décourageai pas : je pensais qu’en offrant un travail
sérieux et rempli de recherches consciencieuses, il serait défendu par MM.
Geoffroy-Saint-Hilaire et Serres, qui seuls n’avaient point de parti pris.
« Geoffroy mourut, il ne restait plus que M. Serres, qui m’annonçait
que, sans nul doute, on le remplacerait. Je ne croyais pas la chose possible
; elle eut cependant lieu.
« MM. Coste et Cl. Bernard entrèrent à la Commission, où par
conséquent l’hétérogénie ne comptait plus que des adversaires.
« Je ne persistai pas moins dans ma résolution ; mais, dans une visite
que j’eus l’honneur de lui faire, M. Milne-Edwards me dit carrément : je
donne le prix à M. Pasteur, parce que j’ai vu ses expériences et qu’elles
m’ont parfaitement convaincu. Cette manière de procéder frappait d’un seul coup
toute la province d’ostracisme. J’annonçai immédiatement à l’illustre
zoologiste que je me retirais du concours.
« M. Serres , avec une obligeance que je n’oublierai jamais, avait mis
son laboratoire à ma disposition ; et le grand anatomiste avait eu la
patience de suivre mes expériences pendant les quinze jours que j’y passai,
et de faire dessiner, sous ses yeux, quelques-uns de leurs résultats. Quand,
à mon départ, je lui demandai, ainsi qu’à quelques professeurs de nos écoles
qui avaient également suivi mes recherches, si j’avais strictement accompli
mon programme, il me fut répondu : parfaitement.
« Je ne pouvais élire domicile à Paris pour reproduire
successivement de si longues expériences devant chaque membre de la
Commission ; une année n’y aurait pas suffi.
« Voici le motif d’une retraite qui eut un si grand retentissement
dans la presse scientifique. En résumé, il ne me parut pas que l’on eût assez
étudié mon travail avant de le condamner. »...
Et il publie un livre pour exposer ses travaux. Les expériences
de Pouchet n’ont pas été étudiées pour autant ; elles restent, à l’heure
actuelle, ni contredites ni justifiées par une critique scientifique basée
sur des contre-expériences, alors que, redisons-le, dans le monde scientifique
d’alors Pouchet passait pour un remarquable expérimentateur.
Il faut donc recommander la lecture de ce livre, ainsi que les œuvres
de Joly, Musset (de Toulouse !), les expériences de Bastian et, très
près de nous, celles, étonnantes, de Wilhelm Reich, à tout honnête homme qui
voudrait remettre le nez dans cette affaire.
Sans négliger, bien sûr, les travaux modernes sur l’origine de la vie.
Remarquons pour finir que l’étouffement élégant de Pouchet par
l’intelligentsia des doctes parisiens fait partie de la « méthode Pasteur » ;
elle consiste à n’admettre et à faire admettre que ce qui est conforme à une
dogmatique mise en place par Pasteur et son école, et parfaitement au point
en 1864.
Robert Koch
Le biologiste allemand, connu surtout pour avoir donné son nom au
bacille lié à la tuberculose, a contesté plusieurs fois Pasteur dans ses
méthodes de travail et dans ses conclusions. Il reste de lui surtout un
document qu’il fait paraître après le Congrès International d’Hygiène, auquel
il assiste en 1884 à Genève. C’est à ce Congrès que Pasteur, après des
expériences « réussies » de vaccination des moutons contre la maladie
du charbon, est ovationné par ses collègues comme « un second Jenner ». Koch
estime le compliment d’autant peu indiqué que, dit-il, « les expériences
conçues par M. Pasteur à propos du choléra des poules ne sont, suivant toute
apparence, pas réalisées... La vaccination préventive contre le charbon ne
peut pas davantage, provisoirement du moins, être considérée comme étant
utile dans la pratique , et jusqu’ici l’inoculation préventive des bactéries
pathogènes atténuées n’a pas eu de succès. Dès lors, en fêtant au Congrès de
Genève M. Pasteur comme un second Jenner on s’est un peu trop hâté, sans
compter que l’on a oublié, évidemment dans l’excitation de l’enthousiasme,
que ce ne sont pas des moutons mais des hommes qui ont profité de la
découverte si bienfaisante de Jenner. »
Koch demande devant les congressistes assemblés de rendre publiques
les méthodes de Pasteur d’atténuation des virus par l’oxygène de l’air, afin
que la communauté scientifique puisse en profiter. Il souhaite en outre que
soient publiés les morts résultant des vaccinations préventives... Rien de
tout cela ne lui est accordé au Congrès. Pasteur, pour toute défense, se
lance dans une polémique contre Koch, utilisant, dit celui-ci, « des
assertions générales produites dans un ton presque toujours personnel et
irrité. Aussi, ajoute-t-il, ai-je cru à ce moment-là que le plus convenable
était de me borner à protester contre les attaques de M. Pasteur, en me
réservant le droit de répliquer plus tard en règle. »
C’est l’objet même de ce document de quarante pages , où il s’attache
à montrer combien sont légères les assertions du savant et erronées ses
conclusions. Il insiste particulièrement sur un curieux phénomène du «
travail » dans le laboratoire Pasteur : chaque fois que le terrain est déjà
déblayé (cas du choléra des poules et du charbon du mouton) Pasteur peut
avancer, mais dès qu’il s’agit de travailler sur des méthodes nouvelles, il
s’empierge. Et de citer en exemple comment notre chimiste inocula de la
salive de cadavres morts de la rage à des lapins, découvrant « une nouvelle
maladie », avec une nouvelle bactérie « en 8 ». Koch commente : « Mais en
examinant de plus près cette nouvelle maladie, on reconnaît bien vite en elle
la septicémie du lapin. M. Pasteur décrit le nouveau microbe comme étant de
petite dimension, en forme de 8, avec un étranglement allongé. Les lapins
infectés par ce microbe sont morts au bout d’environ vingt-quatre heures. A
en juger par leur forme aussi bien que par leur action pathogénique sur les
lapins vaccinés, ces microbes ne peuvent être que ceux de la septicémie du
lapin, c’est-à-dire d’une maladie qui a été étudiée à fond au moyen d’expériences,
autrefois par Coze et Telz, plus tard par Davaine, et en dernier lieu par le
Dr Gaffky à l’occasion de son travail sur la septicémie.
« Il y a plus, M. Steinberg est parvenu à engendrer régulièrement
cette maladie en inoculant sa propre salive, bien qu’il fût bien portant, et
il a publié des planches photographiques des microbes en 8 qu’il a obtenus en
se servant de sa salive comme vaccin. »
* * *
Le texte de Koch se termine par un éloge à Pasteur. Le savant allemand
déclare que, si Toussaint a découvert que le sang charbonneux perd sa
virulence quand il est traité par un agent antiseptique ou oxydant, Pasteur «
a eu le grand mérite d’avoir fourni la preuve que ces microbes, ou bacilli
charbonneux, sont précisément la partie du sang qu’il faut modifier ou
atténuer... C’est cette circonstance qui donne à la découverte sa haute
importance scientifique. »
Je rêve, ou je me pince ? Pauvre Koch ! Trop honnête, il oublie que
Davaine avait étudié avant Pasteur l’action des bacilles charbonneux ; et
s’il avait connu la rouerie de Pouilly-le-Fort, il aurait su que non
seulement l’atténuation qu’il donne au crédit de son adversaire ne marchait
pas, mais que Pasteur se conduisait en l’occurrence comme un plagiaire et un
illusionniste, et aurait changé là sa hauteur courtoise en mépris absolu.
Michel Charles Félix Peter
On a dit de Peter qu’il était « un médecin français à l’ancienne.
» Critique ou compliment, il n’en est pas moins un excellent clinicien,
élève du célèbre Trousseau, et membre de l’Académie de Médecine. Il est comme
Koch un ardent adversaire de Pasteur, mais pour des raisons différentes de
celles du savant allemand. Alors que celui-ci reproche à Pasteur d’être léger
et inconséquent, et ne refuse rien des doctrines pastoriennes puisqu’il
travaille dans ce sens, Peter reproche à Pasteur d’être microbiste,
s’attaquant à l’œuvre du savant qu’il juge pernicieuse pour la santé. Pour
Peter, c’est la clinique qui commande, le laboratoire n’existe pas encore, ou
du moins n’est pas sérieux. Il est d’accord sur ce point avec Koch, que
Pasteur généralise hâtivement des certitudes qu’il appuie sur quelques cas
mal digérés.
Peter n’accepte pas qu’une expérience isolée devienne par coup de
bluff miraculeuse et donne lieu à des conclusions divinisées. Il proteste
contre les conclusions de Pouilly-le-Fort sur la vaccination de moutons
charbonneux, et de la « Olla » qui a salué l’unique vaccination antirabique.
Il ne s’en laisse point conter : « Quant à l’expression merveilleuse que vous
employez pour qualifier l’expérience de Pouilly-le-Fort, s’écrit-il devant
les académiciens, ce n’est plus de l’apologie, c’est de l’autoapothéose, et
alors je n’ai plus rien à y voir. »
Le camp pastorien a voulu faire de Peter un bouffon obscurantiste,
cela parce qu’il se retrouve seul parmi les cliniciens à livrer le baroud
d’honneur face à la « furia microbienne », « choléra intellectuel contre
lequel il faut savoir prendre des mesures sanitaires », « voilà pourquoi,
dit-il, je suis dans la résistance. »
Peter se bat contre un homme. Il ne voit pas la réalité en marche,
cette vérité que Pasteur n’est que le porte-parole, le haut-parleur d’une
société de marchands qui donne à ses découvertes une publicité prodigieuse. «
Peter croit que le roi est un, mais d’autres se précipitent pour le vêtir.
» Parfait combattant, qui n’a pas jugé du rapport des forces.
Au moment où Pasteur généralise, non sans problèmes nous l’avons vu,
sa vaccination contre la rage, Peter analyse froidement, en clinicien et statisticien,
le résultat global de l’intervention, et constate une belle augmentation du
nombre des cas mortels par la maladie sur l’ensemble du territoire français.
Il conclut : « M. Pasteur ne soigne pas la rage, il la donne ! » Et c’est
exact.
* * *
Pasteur mort, les splendides funérailles nationales qui lui sont
accordées ne vont pas assurer le repos éternel du savant. D’autres
adversaires et grands noms de la Science se lèveront encore contre le «
choléra intellectuel » du microbisme à la Pasteur qui nous a laissé en
héritage, orchestrée par les spécialistes de la santé industrielle, plus
dangereuse encore que la « furia microbienne », une médecine de
l’irresponsabilité individuelle.